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C'est seulement au moment du dessert qu'Emma nous annonça: "Cette année, au lieu d'acheter une galette, j'en ai faite une moi-même."
Nous étions tous réunis pour un repas familial, moi et ma femme, notre fils Jean, ma mère Emma, ma soeur Juliette, son mari Marc et ma nièce Isabelle.
Emma jouait le rôle de la mamie "gâteau" et Jean et Isabelle l'adoraient; chaque année, tradition oblige, elle nous invitait tous pour "tirer les rois" ensemble, mais aujourd'hui elle avait décidé de donner libre cours à ses talents culinaires.
Déjà Emma confiait aux dames de l'assemblée quelles étapes de la confection d'une galette étaient délicates, et où résidait le coup de main magique qui fait réussir la frangipane. Pendant ce temps j'apportai de la cuisine jusques sur la table ladite galette, sous les yeux affamés de Jean et Isabelle, de loin la plus vorace de nous tous, qualité ou défaut qu'elle tient de son père
Emma découpa la galette en sept parts égales, posa dessus un torchon blanc puis annonça à mon fils: "C'est encore toi le plus jeune, Jean". Mon fils connaissait la procédure. Il plongea sous la table, tout heureux de prendre l'initiative en ces circonstances. Le processus était immuable: Ma soeur Juliette désignant les parts et Jean criant le nom des personnes à qui elles reviendraient. Pour ma part, je me taisais. J'avais toujours été impressionné par la capacité qu'à ma mère de découper des gâteaux en sept, neuf ou onze parts égales, sans jamais se tromper, ni hésiter au moment d'abaisser son couteau. Les mathématiciens affirment qu'il est impossible de couper un gâteau en sept parts rigoureusement égales, je les invite à rencontrer ma mère.
Lorsque chacun fut servi, Jean jaillit de sous la table comme un diable d'une boîte, et se vissa consciencieusement sur sa chaise. Juliette dit alors: "Nous allons voir qui aura la fève. Et toi, Isa, ne mange pas trop vite, tu risques de l'avaler!" Isabelle haussa des épaules et poussa sa part jusqu'à sa bouche.
Dès la première bouchée, je ressentis une impression bizarre, je savais que le goût de cette galette avait quelque chose de particulier, sans pour autant savoir quoi. C'est à ma deuxième bouchée que je perçus ce goût d'amande amère, léger mais insistant, incongru dans la frangipane. Un goût qui attire la perplexité. Emma, bien que bonne cuisinière, pouvait faire des erreurs, surtout sur une nouvelle recette, mais la présence de cet arôme semblait tellement déplacée... Ce qui ne dérangeait pas les enfants, pas encore habitués à apprécier les plats à leur juste valeur, et avec une précision que seuls les adules peuvent atteindre. Ayant lu moult romans policiers, amande amère signifie cyanure: De là à croire qu'Emma aurait voulu...
Cette hypothèse était stupide ; le cyanure agit rapidement, et l'un d'entre nous aurait dû se trouver mal. Il n'était certes pas impossible que la galette contienne du cyanure à l'état de traces - étant donné qu'on en trouve dans les noyaux d'abricot, par exemple - qui servirait d'artifice de cuisine pour relever le goût, mais certainement pas de quoi incommoder quelqu'un. Je chassai cette pensée avec un sourire et mon esprit revint sur terre. Tout le monde avait remarqué l'amertume de la galette, mais personne n'en avait soufflé mot, par politesse. Emma mangeait sa part lentement, avec couteau et fourchette, tandis qu'Isabelle avait déjà à moitié fini la sienne. Entre ces deux extrêmes nous offrions un bon échantillon des différentes méthodes de dégustation, et de vitesse d'engloutissement du dessert.
Soudain nous entendîmes un "Hmm" étouffé, bruit signifiant sans équivoque qu'Isabelle serait bientôt sacrée reine... d'un jour. Curieusement, elle n'eut pas l'air d'apprécier ce futur honneur, et montra une figure crispée, puis sa tête s'effondra d'un coup sur la table. Il se fit un silence de surprise, et Emma déclara tranquillement: "C'est Isabelle qui a trouvé la capsule de cyanure."
Commentaires:
C'est une petite saynète que j'ai écrite il y a maintenant presque dix ans (cela ne nous rajeunit pas). Elle a pour origine une part de galette trop amère mangée dans un Mélodine. (je n'en vois plus du tout, maintenant. C'était une sorte de cafèt' pas chère et pas terrible).
Je lisais du Lovecraft au moment d'écrire cette histoire, mais il ne me semble pas que l'influence s'en fasse sentir ici; La forme ressemble plus à du Roald Dalh. A l'époque, je n'avais pas estimé le choix des noms très heureux, mais j'ai choisi de ne pas toucher au texte, mis à part la correction de quelques fautes d'orthographe et de style basiques.
J'aime bcp :)
Ca rappelle un peu Poe, par le coté cynique.
Le commentaire final de la grand mère, il tue (c'est le cas de le dire)!
A ce propos, une mise en garde particulière : la théorie selon laquelle les dates de péremptions peuvent être dépassées de quelques jours est fausse: j'ai failli être la victime d'un steak frelaté pas plus tard qu'il y a 10mn. On ne peut pas imaginer combien 48H peuvent faire toute la différence...
Petit plaisir matinal.